17

        

J’ai mal, j’ai mal, j’ai mal. Ce sont mes jambes mais bientôt, ce seront mes bras. Voilà du temps que je suis couché par terre. À travers le tissu de ma culotte, je sens le bois et ses échardes qui me frottent. Ça va devenir insupportable. Il va falloir que je change de position. Mais le père et la mère sont en train de parler. J’ai envie de les écouter.

— Le père, je pense que le petit est malade.

— Voyons, la mère, il est un peu maigre, c’est vrai et il crie tout le temps mais il faut bien qu’il se fasse.

— C’est pas normal qu’il crie comme ça. Un enfant ça veut dire quelque chose quand ça crie : ça a faim, ça a peur, ça a fait dans ses langes… Mais lui, il crie parce qu’il a mal ! D’ailleurs ça a dû lui monter au cerveau ou quelque chose comme cela : il a huit ans et il parle même pas.

— Il ne sera pas bavard, c’est tout. Ça me changera d’ailleurs agréablement dans cette maison.

Tu bois trop et on dit que c’est pas bon pour les enfants !

— Tais-toi, la vieille. Toi-même tu ne dis pas non à un coup de goutte de temps en temps !

Je ne comprends pas ce qu’ils disent. Tout ce que je sais, c’est qu’ils parlent de moi. Ça me fait un peu plaisir, mais ils peuvent raconter n’importe quoi. Tiens, pourquoi ne parleraient-ils pas de me punir. Ils le font souvent, ça, me punir. Punir, c’est prendre des coups, et ça il n’y a rien de plus douloureux. Encore plus que quand on ne fait rien.

Il vaut mieux partir. Il faut se lever. Ça fait mal de se lever. On s’appuie sur les bras. Il faut serrer les dents pour ne pas crier. Faire passer le poids du corps sur les jambes. Elles n’ont pas bougé depuis longtemps alors ça fait encore plus mal. Chaque pas provoque un élancement. Ils disent que je grimace tout le temps, que j’ai l’air idiot comme ça. Mais ils ne savent pas que j’ai mal. Ou alors, ils s’en moquent.

C’est peut-être ça, ils se moquent de moi. Je les déteste, je les déteste tous. Ils sont grands, ils sont forts, ils savent courir et me rattraper, ils devinent toujours quand je me cache, mais comment font-ils ?

Le curé est gentil. Il ne me fait pas mal, lui. Il me parle doucement après la messe quand je joue devant l’église :

— Alors, Charles, pauvre petit bonhomme. Tu ne veux donc vraiment pas parler ? Ce n’est pas grave, tu sais. « Heureux les simples car ils verront Dieu ! » Tu es si maigre, mon enfant. Ne veux-tu donc pas manger quelque chose ? Une pomme, tu aimerais ? Non, vraiment ?

Le curé ne comprend pas. Mais lui, c’est pas par méchanceté.

Je sors et traverse la cour de la ferme. Pourquoi est-ce grand ici ? Pourquoi faut-il traverser cette maudite cour ?

Il y a des pierres et à chaque fois, je trébuche et j’ai encore plus mal. Parfois, même, je tombe et c’est atroce. Je crie. Je ne peux pas m’en empêcher. Père arrive, ou Nestor qui s’occupe des bêtes. J’aime bien les bêtes. Elles ne me veulent pas de mal, elles sont gentilles avec moi mais Nestor est toujours là.

— Pourquoi es-tu toujours en train de traîner à l’étable ou à la bergerie, file donc maudit fils du diable.

Et il me fait un signe, toujours le même. Ce n’est pas un signe gentil, c’est certain. Le diable, je ne sais pas qui c’est mais ça doit être quelqu’un de méchant. Et je ne suis pas son fils. Je suis le fils du père. Il le sait bien. Il dit ça pour me faire de la peine. Au début, j’ai envie d’aller dans la grange pour pleurer et qu’il ne me voie plus. Mais je pars et je ne l’écoute pas avec ses méchants mots.

Je sors de la ferme. Il y a les champs mais le soleil me fait trop mal aux yeux. Je n’aime pas le soleil. Je n’y vois rien. Mes yeux éclatent et il y a plein de petites lumières et après, ça devient tout noir. Mais j’aime bien quand ça fait chaud. Je me couche sur la terre, la tête entre les mains et là, c’est tellement bien que la douleur disparaît un peu. J’aimerais bien pouvoir regarder le soleil. J’aimerais bien pouvoir le prendre dans mes bras et le serrer contre moi. Le soleil est beau. C’est la seule chose qui soit vraiment belle dans ce monde. Mais il est trop loin pour que je le prenne dans mes bras et je ne peux même pas le regarder. Lorsqu’il s’en va et qu’à la place il y a la lune, elle je peux la regarder mais il fait froid, alors je tremble et j’ai encore plus mal. La lune est belle aussi mais elle est froide. Peut-être que c’est ce que Nestor veut dire quand il me traite de « maudit fils du diable ».

Je vais vers la forêt, là-bas, il y a des endroits qui sont à la fois au soleil et à l’ombre. C’est agréable la forêt. Je l’aime bien pour cela. Mais elle est loin.

Mes jambes me font mal. À chaque fois que je lève la jambe ou que je plie le genou, il y a un petit cri qui sort de ma bouche. Je ne vais pas pouvoir marcher longtemps. Après c’est le dos, les épaules et les bras. J’essaye de ne pas les bouger mais c’est difficile. Et de toute façon, si mes bras restent immobiles, ils finissent par me faire mal. Ça vient plus lentement mais, après, c’est presque pire.

Est-ce qu’ils ont aussi mal que moi, tous ? Des fois, on le dirait mais pas toujours. Lorsqu’ils portent quelque chose de lourd ou qu’ils se cognent quelque part, sinon, jamais ils ne crient ni ne pleurent. Ou peut-être les petits bébés, mais personne n’y fait attention. Et puis, il suffit de leur mettre un biberon dans la bouche pour qu’ils se calment. Alors que moi, manger me fait mal. Bouger mes mâchoires, avaler. Je n’aime pas manger, boire un peu d’eau et de la soupe mais pas beaucoup. Manger du pain… Rien que d’y penser, j’ai envie de crier.

À la messe, le curé dit : « Nous sommes sur Terre pour souffrir. » Il a dit aussi que Jésus a souffert pour nous sauver comme aucun homme n’a jamais souffert. Alors peut-être que je suis comme Jésus et que tout le monde sera sauvé grâce à moi.

La forêt enfin. Je vais pouvoir me reposer un peu en me mettant la tête à l’ombre et donner le reste du corps au soleil. J’aurai un peu moins mal… jusqu’à ce que même la chaleur ne me soulage plus.

— Hé, c’est Charles !

Je me retourne et pousse un cri. D’abord parce que mon cou me fait mal, ensuite, parce que je les reconnais. Eux ce sont bien les fils du diable. J’essaye de retourner à la ferme mais ils me barrent le chemin.

— On dirait qu’il ne nous aime pas.

— Tu crois, c’est une bête, un idiot. Il ne peut aimer ni détester personne.

— Justement si, c’est une bête il sait qu’il doit nous craindre. Hé toi, mets-toi à genoux ! Obéis.

Je ne comprends pas ce qu’il dit. Il voudrait que je fasse quelque chose mais quoi ? Il va se mettre en colère, je le sais. Il va faire un drôle de bruit avec sa bouche et…

Je crie. Il vient de me donner un coup de pied. Ça monte jusqu’à ma tête et ça résonne partout. Je veux me retourner. Partir. Mais ils sont partout. Un autre me pousse. Je tombe. C’est horrible. J’ai mal partout. La douleur est là, elle est partout. Ils me tapent les uns après les autres.

— Regardez comme il couine, c’est un vrai cochon qu’on va égorger !

— Et il pue, sentez-moi ça.

— Il n’a pas d’âme. C’est une bête. Pauvre fou !

— Pauvre fou !

Mes jambes se cassent de partout et mes bras aussi. Mon dos fait comme une grande écharde qui partirait des fesses pour aller jusqu’à la tête. J’ai mal partout en même temps. D’habitude, c’est un endroit, puis l’autre. Là, c’est partout. Je roule à terre. Plus jamais je ne me mettrai debout. Quelque chose me fait mal aux oreilles. C’est moi qui crie. Je voudrais m’arrêter parce que c’est douloureux mais je ne peux pas m’en empêcher.

— Hé, garnements, laissez-le.

On me ramasse mais j’ai toujours aussi mal. Je crie toujours. Je crie jusqu’à ce que tout disparaisse. Ça s’arrête d’un coup. Je ne sens plus rien. Il fait tout noir et j’ai froid. Mais je ne peux pas crier.

C’est la nuit. La mère est là et le père aussi. Il y a un autre homme, un monsieur.

— Regardez, monsieur, comme c’est pitié. Le pauvre garçon a crié des heures. Ce sont ces voyous qui lui ont fait un mauvais parti mais il y a quelque chose, j’en suis sûr. Il est malade, voilà longtemps que je le dis.

— Arrête un peu, la mère. C’est toi qui te fais des idées. Il est un peu douillet, c’est tout.

Le monsieur parle à son tour. Sa voix est grondante comme l’orage mais il ne se fâche pas. Il est comme ça, c’est sa voix.

— J’ignore si je peux quelque chose pour votre enfant car, voyez-vous, ma spécialité est plutôt de préparer des pièces d’anatomie pour les écoles de médecine…

— Nous sommes de pauvres gens. Nous n’avons pas les moyens de prendre un vrai médecin de la ville. Vous savez les choses, vous savez lire des livres. C’est bien assez pour nous.

— Comme vous voudrez. Laissez-moi seul avec lui, je vous prie.

— Vous ne lui ferez pas de mal ?

La mère pleure. De l’eau coule de ses yeux. Je n’ai jamais vu cela. Des larmes. Moi j’en fais des fois. C’est mouillé et ça vous coule des yeux. C’est quand on est triste, qu’on a mal ou qu’on a peur. Qu’est-ce qui se passe ? Elle a mal, elle aussi ?

— Rassurez-vous. Par contre, si vous l’entendez un peu crier, ne vous inquiétez pas. Il faut que je l’examine et il peut ne pas apprécier un tel traitement. Il n’a jamais vu de médecin jusqu’ici, n’est-ce pas ?

Le père et la mère sortent. Ils ont peur. Le monsieur me regarde. Il a l’air ni bon ni méchant. On dirait qu’il ne me voit pas.

— Alors, petit Charles. Que vas-tu me raconter ? Hum… Tu as huit ans et tu ne parles pas. Bon, ce n’est pas rare dans des milieux aussi arriérés que celui-ci. Mais cette façon que tu as de crier m’intrigue. Voyons un peu.

Il enlève la couverture qui me recouvre. Mal, le tissu frotte, je crie un peu.

— Rien que cela, ça te fait mal ? Voyons les réflexes.

Et il frappe. Je ne sais pas avec quoi. Le genou. Hurlement. Il m’arrache la jambe. Mais non, elle est là, intacte. Et il continue. Encore de la douleur, en vagues. Ça augmente, comme avec les autres, les fils du diable. Tout va disparaître.

Mais non, ça baisse tout à coup. Des coups.

— Monsieur le médecin, qu’est-ce qui se passe ?

Le père et la mère sont là. Ils me regardent avec de grands yeux. C’est bizarre des yeux aussi grands surtout pour moi.

— N’ayez crainte, j’ai fini mes examens. Madame, votre fils ne joue pas la comédie, j’en suis persuadé. Au cours de mes études, j’ai vu des gens qu’on soumettait à la question, ils présentent à peu près les mêmes symptômes.

— Que voulez-vous dire ? On ne le torture pas, tout de même ! Bien sûr ces garnements n’y sont pas allés de main morte, mais de là à…

— Je ne dis pas que vous le torturez. Je pense simplement que votre fils souffre d’une hypersensibilité à la douleur. Vous avez entendu ses cris. J’ai testé ses réflexes. Je l’ai ausculté. Je lui ai fait mouvoir ses muscles et vous avez entendu le résultat.

— Mais alors, que pensez-vous que l’on puisse faire ?

Le monsieur me regarde. Cette fois-ci, il a l’air de me voir. Mais il a l’air triste.

— Je ne sais pas. Il faut que j’y réfléchisse, que je relise mes ouvrages d’anatomie. Je reviendrai peut-être l’examiner mais je vous promets d’y aller plus doucement. Auriez-vous quelques animaux dans cette ferme.

— Heu oui, des chèvres, quelques vaches, des poules et des lapins aussi.

— Une chèvre, ce sera parfait. Donnez-m’en une.

— Il faut vous la cuisiner ?

— Mais non, vivante bien sûr ! Je vais expérimenter quelque chose sur un être vivant. On ne sait jamais.

— Et le petit, qu’en faisons-nous ?

— Qu’il garde le lit, et donnez-lui à manger de la soupe, bien claire. Se servir de sa mâchoire doit le faire affreusement souffrir. Également, venez le changer de position à peu près toutes les heures et toutes les deux heures la nuit. La position immobile à la longue lui est insupportable.

Je suis au lit, j’attends. Le monsieur a dit des mots à mon sujet. Je ne les ai pas compris. Ils étaient à la fois gentils et pas gentils. Pas méchants non, mais comme si je n’étais pas quelque chose d’important. Je ne sais pas qui il est, le père et la mère ont l’air d’en avoir peur comme du seigneur. Moi aussi, il me fait peur.

— Je pense avoir trouvé quelque chose. Votre fils souffre d’une infection au niveau de la moelle épinière.

— La moelle, comme la moelle des bœufs ?

— Si vous voulez. C’est par ce conduit que passent la plupart des nerfs. Ils transmettent au corps les ordres du cerveau. Comme de bouger un membre. Mais ils transmettent aussi au cerveau les principaux signaux en provenance du corps. Je les connais bien. Quand je fais une préparation, je prends bien soin de les isoler et de les conserver. Si j’arrivais à éliminer ceux qui envoient ces signaux anormaux de douleur au cerveau de votre fils, peut-être parviendrais-je à soulager sa douleur.

— Oui, oui, faites cela, je vous en prie.

— Je vous préviens. Nous prenons des risques.

— Il peut mourir ?

— Peut-être. Il peut aussi rester paralysé. Mais rendez-vous compte qu’il souffre atrocement. Franchement, je pense qu’un tel état est pire encore que la mort. Laissez-moi faire, et dans tous les cas votre fils ne souffrira plus.

— Écoutez, est-ce qu’on peut réfléchir ?

— Allons, la mère, qu’est-ce que tu veux réfléchir ? Tu vois comment il est et tu as écouté monsieur le médecin… Il a dit que c’était encore pire que la mort d’être comme ça.

La mère parlait mal. Les mots sortaient avec difficulté de sa bouche.

— Mais c’est pas un chien tout de même. Qu’on pourrait tuer en le noyant. C’est notre fils.

— S’il reste comme ça, qu’est-ce que tu veux qu’il fasse ?

— Tout de même, dit-elle. Puis elle répète plusieurs fois : Tout de même, tout de même…

Le monsieur est resté silencieux pendant que la mère et le père parlaient. Comme s’il n’était pas là. Et puis il revient :

— Je vous ai dit ce que j’en pensais. Je comprends vos scrupules. Je suis encore dans la région quelques jours. Faites-moi venir quand vous vous serez décidés.

La mère, elle, continue à pleurer : « Tout de même, tout de même. »

C’était le jour où il y eut tout plein de monde dans la maison. J’étais parti me cacher. Peur de tous ces gens-là que je connais pas. Et puis, le bruit, ça me fait mal, et il y en a peut-être qui me prendraient par l’épaule ou me pousseraient. La mère est venue me chercher.

— Viens, mon petit Charles, viens dire bonjour à ta grand-mère, à tes oncles et à tes cousins.

Elle a un sourire sur le visage mais ses yeux ne disent pas pareil. Elle a peur, je crois. Moi, j’ai peur aussi. Je la suis mais c’est dur de monter les marches qui mènent à la grande pièce où il y a le feu. Je crie un peu et là-dedans il y a des gens. Plein.

C’est moi qu’ils regardent.

— Pourquoi il crie, ce petit ?

C’est un monsieur grand et bien habillé. Il me regarde comme s’il était surpris de me voir.

— Alors, mon petit, c’est à toi que je parle.

Il attend quelque chose mais je ne sais pas quoi. Je ne bouge pas et je commence à avoir mal. Je bouge un peu et ma jambe a une douleur.

— Tu bouges drôlement toi, dis donc. Viens un peu par là.

Il m’attrape par le bras. La peur, la douleur tout de suite. Je me mets à crier. Je ne peux pas faire autrement. C’est ma bouche qui parle toute seule.

Il me lâche :

— Mais, Isabelle, il est fou ton fils ? Il ne parle pas ?

J’ai peur, très peur et la mère aussi. Elle part vers l’autre pièce en tenant son tablier contre ses yeux. Je sais qu’elle a de l’eau dans les yeux.

Le monsieur est revenu. Il a apporté de drôles de choses. Comme les outils du menuisier. Il me regarde mais cette fois-ci il a l’air gentil.

— Tu n’as même pas peur. Quel drôle de petit bonhomme. Je connais bien des soldats aguerris qui s’évanouiraient rien qu’en regardant ces outils. Mais toi non. Allons, je vais tenter de ne pas te faire souffrir plus que de raison. D’ailleurs, il y a de bonnes chances pour que d’ici à quelques heures, tu ne souffres plus du tout. Tu seras mort, paralysé, ou alors… Je ne peux même pas dire comment tu seras. Quel effet cela fait-il de ne ressentir aucune douleur ? Ce doit être étrange. Allons, bois cela.

De l’eau dans ma bouche. Ça fait mal et c’est un mauvais goût qui me fait grimacer.

— Mais si, bois, je sais bien que ce n’est pas bon mais ce bon opium t’empêchera de souffrir. Allons, je vais conjuguer l’effet du liquide avec une inhalation. Attends.

Ça change dans la chambre. Je suis tout petit et le plafond est très très haut. Presque aussi haut que le ciel, et la lampe est comme le soleil. Elle fait aussi mal aux yeux. Avant, cela ne le faisait pas. Mais maintenant… Et j’ai mal au cœur. Ce qu’il y a à l’intérieur de moi a envie de sortir. Je sais que cela fait très très mal. C’est pourquoi aussi je n’aime pas manger. Le père se fâche quand je ne veux pas manger, il me parle de choses que je ne comprends pas. La mère pleure, elle commence un geste comme pour l’arrêter mais, souvent, la main du père me tape la figure et j’ai encore plus mal, alors je crie. Je ne sens plus rien, c’est comme si je dormais, mais plus fort que d’habitude. Je vois des ombres. C’est l’ombre du monsieur qui passe au-dessus de moi. J’ai peur mais je ne peux pas bouger. J’essaye de crier mais je n’y arrive pas. Il fait quelque chose : il me prend et me retourne sur le lit. Je ne sais pas ce qui m’arrive…

J’ouvre les yeux et je les ferme aussitôt. Il y a de la lumière, beaucoup trop de lumière. Je les rouvre. Je n’ai pas mal cette fois-ci. En fait, je n’ai plus mal du tout. Je ne sens plus rien. C’est comme s’il n’y avait que ma tête. Je suis sur mon lit mais j’ai la tête dans les draps. Je veux me tourner car c’est une position qui me fait mal d’habitude, mais je n’y arrive pas. Je n’ai plus de bras et de jambes. Mais je n’ai pas mal. J’ai peur et je crie.

Le monsieur est là. Il me regarde comme si j’étais quelque chose de curieux.

— Ce n’est pas la peine de crier, petit. Tu n’as pas mal, je le sais. Et tu as survécu à l’opération. Ce n’était pas certain, crois-moi. Je ne le dirai à personne, mais tu as eu de la chance, beaucoup de chance. Tu dois te reposer. Il faut que les tissus cicatrisent. Il serait fâcheux tout de même que la plaie s’infecte. Ce serait vraiment trop bête de mourir maintenant. Je vais te donner encore un peu d’opium… Tu sais, le liquide qui n’est pas bon. Tu verras, tu vas aimer ça et bientôt peut-être même que tu ne pourras plus t’en passer !

Il a l’air gai. Il me donne un verre, le liquide est amer et je ne veux pas le boire mais il m’oblige. Je bois et bientôt ça devient tout noir.

— Vous voyez, il est en très bonne forme.

— Mais cette cicatrice, c’est affreux !

— Allons, madame, elle va bientôt se refermer, ne vous inquiétez pas. Et vous constaterez qu’il ne souffre plus du tout.

— Non, mais il ne bouge plus non plus. Vous croyez qu’il est mort ?

— Regardez ses yeux, ils bougent. Il nous écoute. Par contre, je vous ai dit qu’il n’aurait peut-être plus l’usage de ses membres.

— Alors, il restera comme ça ?

La mère a de l’eau dans les yeux. Je n’aime pas ça alors je me mets à crier.

— Voyez comme il réagit ! Il est trop tôt encore pour le dire. Lorsque les tissus seront cicatrisés et que son état sera stable, je l’examinerai de nouveau.

C’est le soir, il fait sombre dans la chambre. Je suis couché et je ne peux pas bouger, mais je ne sens plus rien du tout. J’ai peur. D’habitude, j’ai toujours mal et là, plus rien. Est-ce que je suis monté au ciel ? Mais non, le petit Jésus serait déjà venu me voir. Le monsieur entre. Il a des rides sur le front, comme s’il n’était pas content.

— Décidément, j’aurais mieux fait de m’abstenir. Ta mère n’arrête pas de pleurer et ton père menace d’aller me dénoncer au bailli ! Je ne crains rien, bien sûr, ce n’est qu’un paysan borné, mais si la nouvelle parvenait aux oreilles de l’Académie, j’aurais des ennuis. À cause de toi ! Tu vas me faire le plaisir de bouger.

Il s’assied à côté de moi et prend un marteau comme la fois où il m’a tapé le genou et il recommence.

— Absence totale de réflexe, hum… voyons cela.

Il prend une aiguille et je ne sais pas ce qu’il fait avec.

— Voyons, tu ne réagis plus du tout à la douleur. Nous allons essayer autre chose : tes nerfs n’envoient plus d’informations à ton cerveau mais, si j’ai bien tout calculé, ton cerveau serait en mesure d’en envoyer à ton corps. Et il a fallu que je tombe sur un attardé ! Écoute-moi bien, petit Charles, je vais prendre ton bras et tu vas le bouger !

Il prend ma main. Mais c’est comme s’il prenait un objet ramassé par terre.

— Bouge tes doigts. Bouge tes doigts.

Je ne fais rien.

Il vient souvent. À chaque fois, il me prend la main. « Bouge tes doigts ! » Moi, je ne fais rien. Il me dit : tu ne sens pas ta main mais imagine que tu as une main et imagine que tu la bouges. Vas-y !

Je ne fais rien.

Je suis tout seul dans le lit et je pense. Il y a l’eau sur la table de nuit, j’ai soif. Il n’y a personne pour m’en donner. Je crie mais personne ne vient. Elle est là, juste à côté. Je sens l’eau à l’intérieur. Alors je pense, je pense que je lève la main pour l’attraper. Je pense fort, très fort.

La carafe tombe.

Je pense très fort à lever la jambe. Je pense très fort à m’appuyer sur mon bras comme lorsque je sentais tout et que j’avais mal. Je ne sais pas ce qui se passe, mais je tombe.

Le monsieur entre : il me trouve. Je crie. Mais lui, il a l’air heureux :

— Par tous les saints, j’ai réussi !

 

Je marche dehors. C’est bien, le vent souffle et le soleil me réchauffe. Je marche depuis longtemps et c’est comme si je ne faisais rien. Je pense simplement que je marche et j’avance. Ma tête flotte au-dessus des blés. Je pense à attraper un épi et voilà qu’il est dans ma main. Je ne le sens pas, mais il est là. Je peux même le porter à ma bouche et le mâchonner.

— Regardez comme il va mieux. Il reprend des forces. Je n’ai jamais vu une telle force morale chez un enfant. Un homme ordinaire serait resté à se morfondre, mais non, lui a repris le dessus. La situation est entièrement inédite pour lui, pourtant il s’est remarquablement adapté.

Je cours. C’est dur de courir, je tombe tout le temps.

— Il marche bizarrement.

— Son sens de l’équilibre a souffert mais il finira par s’habituer. Bientôt, il pourra accomplir tous les actes ordinaires de la vie. Et admirez un peu sa musculature. Depuis l’opération, son poids a presque doublé et c’est du muscle.

— Il passe ses journées à courir et à soulever des pierres. Alors évidemment…

— Il ne sent plus rien. L’effort ne lui fait pas peur. Il sera de plus en plus fort.

J’ai peur. Pourquoi je ne sens rien ? Pourquoi je n’ai plus mal. Je ne sens plus rien sauf avec ma tête. Tout le reste disparaît. Ça n’existe pas.

 

— Hé, regardez qui va là ?

— C’est Charles, la bête ! Hé, voyez un peu comme il marche. Attention, tu vas tomber.

Je tombe et ma tête est par terre.

— Ah, ah ! Il ne tient pas debout.

Son pied s’approche de moi. Je pense que mes mains pourraient l’attraper. Tout de suite, je les vois. Elles viennent à mon secours et prennent le godillot.

— Qu’est-ce qu’il fait ?

C’est le godillot qui fait mal. Je ne l’aime pas. Je vais l’envoyer loin.

— Il va me casser la cheville ! Aidez-moi.

Ils viennent tous et tentent d’enlever le pied, mais moi, je veux qu’il parte loin et que je ne le revoie plus. Alors je le tiens.

— Il va m’arracher le pied. AAAH !

Quelque chose craque, comme une branche morte. Maintenant le pied est tout mou et l’enfant hurle. Il hurle très fort et moi je crie aussi. Et puis, je veux arrêter ça. Alors, je dis à ma main d’aller sur la bouche du garçon. Elle y va. Ça fait comme un grand coup. Il n’y a plus de cri sauf les miens mais j’arrête.

Les autres se mettent à hurler à leur tour :

— Charles a tué Gaston ! Au secours !

Ils partent et je dis à mon corps de me relever. Ce n’est pas facile. Il y a des choses à faire dans l’ordre et je me trompe. Quand je suis debout, je regarde par terre.

Le garçon est là, la bouche ouverte comme pour crier mais il ne crie plus. Il y a du rouge sur sa bouche.

Alors, il y a beaucoup de monde qui vient. Ça crie partout. C’est désagréable. Je crie aussi. Plusieurs veulent m’attraper. Ma tête va dans tous les sens. Je vois qu’ils m’ont pris les bras. Je ne veux pas, alors je leur dis de bouger et de pousser tous ces gens pour qu’ils reculent. Ils obéissent et le vieux Victor tombe en arrière et va se cogner contre un arbre. Je crie encore et c’est plus fort qu’eux. Il y en a deux autres qui viennent. Je dis à mes pieds de bouger et à mes mains de les pousser. Les deux sont à terre.

— Il est fort comme un Hercule !

— Comme le diable, oui ! Victor, réveille-toi et filons d’ici.

— Il faut prévenir le bailli. C’est un dément. Il doit aller en prison.

— Mon Dieu, le petit Gaston. Il ne respire plus.

— C’est une brute, un chien enragé. Abattons-le !

Maintenant, ils restent à distance. J’avance et ils reculent. Ils ne veulent plus me pousser ou me prendre les bras. Je crie encore parce que je ne suis pas bien et je retourne à la ferme.

La mère me prend dans ses bras.

— Mon petit, qu’as-tu encore fait ? Cette fois-ci, ils vont t’arrêter !

La mère a peur, alors je crie un peu parce que je ne suis pas bien.

— Chut, doucement mon bébé. Je suis là.

Je ne connais pas cet endroit. Il y a du monde partout. Les gens ne nous regardent pas. Ils passent. Il n’y a pas de champs mais des maisons. Beaucoup de maisons. La mère me tient la main. Je ne la sens pas mais je la vois. J’aime bien quand la mère me tient la main. Je sais qu’il ne faut pas que je serre trop parce que, sinon, je lui ferai du mal. Elle se mettrait à crier. Alors je dis à ma main de serrer doucement et elle obéit.

Nous entrons dans une maison que je ne connais pas. J’ai peur, c’est tout noir. Il y a des animaux, des animaux partout mais ils ne bougent pas. Ils n’ont pas de peau et ils me regardent. J’ai peur et je commence à crier. Je vais demander à mes mains de repousser ces animaux.

— Ne t’inquiète pas, mon bébé, je suis là.

Je vois un homme. C’est le monsieur. Il me regarde et il parle avec sa voix de tonnerre.

— Madame ?

— Monsieur, vous vous souvenez de moi ? Vous avez soigné mon petit Charles, il y a cinq ans de cela.

— Charles, je me souviens très bien oui. Mais… Vous n’allez pas me dire que…

Il me regarde comme s’il était étonné. Il met des choses sur ses yeux, de toutes petites fenêtres et il me regarde encore.

— Par tous les saints, oui, c’est bien lui. Mais c’est un colosse.

— Il mange beaucoup. On a l’impression que rien ne peut apaiser sa faim. Et puis, il part dans la campagne. Il marche des lieues et des lieues. Il soulève des pierres. Parfois, il s’amuse même à briser des arbres, comme ça pour rien. Mais ce n’est plus possible. Il est trop fort. Hier, il a blessé un enfant. On ne sait pas s’il va guérir. Les gens ont peur de lui. Ils vont prévenir le bailli. Vous vous rendez compte, ils vont peut-être le pendre, mon bébé.

La mère se met à pleurer, alors moi aussi, je crie.

L’homme enlève les petites fenêtres. Il ouvre les yeux tout grands :

— C’est stupéfiant ! Pourtant, j’aurais dû y penser, bien sûr. Il ne sent pas la douleur. Il n’a aucune sensation, voilà pourquoi il mange tant : rien ne peut le rassasier. Et cette force : les courbatures, les lésions des tendons et des muscles, voire les os brisés. Rien ne peut le faire fléchir. Et son corps s’est adapté. Il a acquis une dureté sans pareille. C’est un phénomène classique.

— Il faut faire quelque chose pour lui. Ils vont l’enfermer, le tuer peut-être.

— Je ne peux pas m’encombrer de lui, vous comprenez que…

— Pitié, monsieur, pitié pour lui !

La mère pleure et moi je pleure aussi et je crie. Quelque chose lui fait mal. Je ne sais pas ce que c’est alors je dis à mes mains de taper au hasard. Il y a un grand bruit. C’est du bois.

— Calme-loi, mon trésor, calme-toi.

La mère a posé ses lèvres sur mon front. Même s’il y a de l’eau dans ses yeux, je sais que ça va mieux, alors je dis à mes mains d’arrêter.

Le monsieur me regarde. Il plisse les yeux et met ses morceaux de verre sur sa figure :

— Il a brisé cette table d’un seul coup ! Votre fils est un sujet d’étude tout à fait passionnant. Toi, tu m’obéiras, n’est-ce pas ?

— Il le fera monsieur, vous savez, il n’est pas si méchant au fond.

— Hum… Je ne sais pas si la notion de méchanceté a prise sur lui. D’accord, madame, je vais garder votre fils.

— Merci, monsieur le docteur. Vous êtes bon. Dieu vous le rendra. Je vous en prie, occupez-vous bien de lui.

La mère n’est plus là. J’attends, j’ai un peu peur.

— Voyons ça. Quel gaillard ! Tu as treize ans, n’est-ce pas ? Tu vas donc grandir encore. Gagner de la force. Tiens, prends donc à manger.

Il me donne du pain. J’aime le pain et je le mange très vite.

— Quel appétit !

Je suis dans la cour. Je veux sortir, aller plus loin mais il y a quelque chose qui me retient. C’est en fer et ça fait du bruit quand je bouge. C’est attaché autour de moi. J’ai demandé à mes jambes de tirer et à mes mains de les arracher mais elles n’y sont pas arrivées. Le monsieur apparaît, il m’apporte à manger. Il pose un seau par terre, rempli de choses bonnes à manger et il le pousse du pied. Je peux dire à mes mains de l’attraper et je mange. Aujourd’hui, il y a un autre monsieur à côté de l’autre.

— Voyez, mon cher Antoine-Christophe, cette brute que je garde près de moi est le résultat d’une expérience curieuse.

— Vous l’avez décérébré ?

Le monsieur fait un bruit avec sa bouche comme s’il était content.

— Non, il est né comme ça, un attardé. Mais il souffrait de douleurs nerveuses insupportables. Le moindre geste, la moindre contraction des muscles le faisait crier. J’ai opéré au niveau de la moelle épinière.

— Je n’ai guère de connaissances en médecine mais il me semble que cela aurait dû le laisser paralysé.

— Certes, mais ce n’est pas ce qui s’est passé. J’ai bien examiné une chèvre avant d’opérer le garçon et j’ai eu bien soin de la garder vivante au moment d’inciser sa moelle. Il m’a semblé que certains nerfs étaient plus importants que d’autres pour la motricité. Alors, je me suis inspiré des résultats pour ce garçon. Soit j’ai sectionné juste les bons nerfs, ceux qui transmettent les signaux de la douleur au cerveau et laissé indemnes les autres, ceux qui envoient les ordres du cerveau aux muscles. Soit il possède une faculté de régénération de ses nerfs absolument remarquable. Je ne sais pas. Toujours est-il que, comme l’aveugle qui compense l’absence de vue par l’exacerbation des autres sens, lui-même a considérablement renforcé son système musculaire. Imaginez : il ne ressent rien, aucune douleur, aucune fatigue. Par contre, il ne contrôle pas sa force, raison pour laquelle j’ai dû l’enchaîner. Je ne sais pas trop ce que je vais faire de lui.

L’autre homme s’approche de moi : il a un sourire sur sa bouche. Il est gentil, je l’aime bien.

— Quel faciès de brute, et dans quel état est son corps. Il n’a plus de peau. Les muscles sont à vif.

— Il ne ressent rien, je vous dis. Il a pris l’habitude de s’automutiler. Sans doute par désœuvrement. Qui sait ce qui peut se passer dans un esprit aussi profondément ancré dans les ténèbres ?

— Une vraie allure de démon. Il semble tout droit sorti de l’Apocalypse. Abaddon, oui, c’est cela Abaddon, La cinquième trompette. « Elles avaient pour roi l’ange de l’abîme, appelé, en hébreu, Abaddon, et en grec, Apollyon, c’est-à-dire l’exterminateur. »

Il me passe la main sur le visage, elle est douce.

— Abaddon, Abaddon, répète-t-il tout doucement.

J’aime bien sa voix. J’aime bien ses mains. Il ne me veut pas de mal. Il est gentil. J’ordonne à mes mains de le caresser lui aussi.

Sa bouche fait un drôle de bruit. Il a l’air content.

— Regardez comme il est calme. Et vous me parliez d’une brute. Il est parfaitement docile à qui sait y faire.

— Il est vrai que je ne l’avais jamais vu comme cela. J’ai dû l’enchaîner car même le fouet ne le dissuadait pas de casser tout ce qui passait à sa portée lorsqu’il se mettait en colère.

L’homme se relève et, après une dernière caresse dans mes cheveux, il va se mettre à côté du premier homme.

— Mon cher Fragonard, je pense trouver un emploi à votre protégé. Bien sûr, il est comme une bête sauvage, il va falloir que je le dresse, mais je sais y faire avec les animaux.

Il me sourit encore et revient pour m’embrasser.

— Je te sauverai, mon cher Abaddon. Plus de chaîne pour toi. Un grand destin t’est promis. Tu régneras sur le monde à nos côtés. Tu seras en quelque sorte notre bras séculier, notre bras vengeur.

J’aime bien l’homme. Il est doux et gentil comme la mère.

Je me mets à pleurer.

 

La Sibylle De La Révolution
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